Le ThinkPad est mort
Je le clame haut et fort, sans être, heureusement, le seul : le ThinkPad® est mort.
En 2005-2006, Lenovo reprenait la division informatique d’IBM, ce qui signifiait également que Lenovo allait concevoir les ThinkPads®, et c’était déjà plutôt redouté à l’époque.
Le premier modèle n’ayant jamais porté l’estampille IBM est le T61, et j’en ai un (modèle 7663), que j’ai pu comparer avec un T60, et déjà à l’époque, on pouvait parler d’agonie du ThinkPad®.
T61 vs. T60 :
- le T60 est plus léger que son petit frère, et le poids est mieux distribué, manipuler le T60 ne donne jamais vraiment peur de le lâcher tant le poids le tire vers le sol ;
- les charnières de l’écran du T60, même après 5 ans, sont toujours assez serrées pour que l’écran ne bouge pas en cas de secousse, sur le T61, après quelques mois, elles sont suffisamment dé-serrées pour que ça se produise (ce n’est pas aussi prononcé que sur la plupart des autres ordinateurs portables, ceci dit) ;
- la résolution la plus élevée sur un modèle 14″1 de T61 à écran large est de 1440×900 pixels, sur un T61 à écran 4:3 et un T60, c’est 1440×1050 pixels, à préciser que les T61 à écrans 4:3 sont plutôt rares et que le T61 est le dernier modèle 4:3 ;
- le rétro-éclairage de l’écran du T60 est plus puissant que celui du T61 ;
- l’autonomie du T61, avec une puce dédiée nVidia, avoisine, d’origine, les 3h30 sur une batterie 9 cellules, elle atteint quatre heures sur la batterie de base (à 4 cellules !) du T60, d’origine également ;
- le T61 chauffe beaucoup trop et atteint les 90°C quand on joue à un jeu 3D sans le couvrir de glace, le T60 a aussi le problème quand il est équipé d’une carte dédiée, mais ce n’est pas aussi tragique ;
- les puces nVidia des T61(p) sont toutes défectueuses si l’ordinateur date d’avant août/septembre 2008, il y a un programme Lenovo qui propose de les remplacer hors garantie mais il y a peu d’espoir d’en bénéficier quatre ans après ;
- le clavier du T61 est moins rigide que celui du T60 malgré une ressemblance troublante, surtout à droite, près de l’UltraBay.
Je recommande ardemment la lecture d’évaluations de ThinkPads® en suivant l’ordre chronologique, c’est édifiant, car même des gens qui n’aiment pas vraiment les ThinkPads® y trouvent des défauts, objectivement, sans s’en référer au passé, il faut cependant se méfier de ceux qui sont trop facilement corrompus et qui ne servent qu’à l’extension du service marketing de l’entreprise. Une autre lecture additionnelle, nettement plus objective : les manuels de service, assez utiles pour avoir le détail des procédures de réparation qui mettent en évidence une conception de moins en moins soignée et de moins en moins orientée vers la « réparabilité ».
De nos jours, ces petits problèmes sont minimes en comparaison avec l’Apple®-isation flagrante des ThinkPads® :
- le clavier est rétro-éclairé pour remplacer la ThinkLight™, une LED placée au-dessus de l’écran qui servait à éclairer le clavier et qui consommait très peu d’énergie tout e servant de lampe de lecture de secours ;
- le clavier a changé de disposition pour faciliter la transition au type chiclet, PgUp et PgDn changent radicalement de place et Back et Next disparaissent, notamment ;
- le TrackPad (touchpad) remplace le TrackPoint (le clitoris entre les touches marquées « G » et « H » et « B »), les deux coexistaient auparavant ;
- la batterie est interne et non amovible par l’utilisateur sur le X1 et certainement d’autres modèles à venir ;
- la trappe pour accéder à la RAM et le tiroir du disque dur/SSD sont également en voie de disparition ;
- les diodes indicatrices sont réduites en nombre alors qu’elles représentaient déjà un minimum syndical ;
- tout devient plus fin et pseudo-design, plus léger et moins résistant, le magnésium commence à se faire rare ;
- la résolution maximale pour les gros modèles est de 1920×1080 pixels et pour les plus petits : 1376×768, même Apple fait mieux, les écrans sont toujours mats, mais ça ne saurait durer ;
- le modem 56K a complètement disparu des modèles récents, il était déjà obsolète en 2008, sur le T61, il était utile comme dernier recours, et l’UMTS reste une option impayable et SIM-lockée dans trop d’endroits, heureusement qu’un modem USB Huawei (qui fait la même chose, en externe) coûte 25€ ;
- les modèles X n’ont plus d’alternative Low Power, c’est parti vers la gamme netbook.
Si je pleure tout cela, c’est parce que Lenovo a les brevets : si un concurrent décide de s’emparer du marché de l’ordinateur portable professionnel solide et durable avec des périphériques d’entrée qui ne sont pas trop inutilisables, il finira attaqué en justice et avec des millions d’amendes à payer, à moins que Lenovo et sa clientèle de masse (donc pas les clients professionnels, juste le consommateur moyen) ne se décident à changer un peu, le ThinkPad® tout court n’est plus qu’une marque sans aucune valeur, pas mieux que le ThinkPad® Edge™ ou qu’un HP® ou même un Dell®.
Tout ce qu’il reste à Lenovo®, Dell® et HP®, ce sont leurs services consommateurs destinés aux professionnels qui sont encore potables, surtout aux États-Unis.
Où ira la demande des consommateurs aussi exigeants que moi ? Les Frankenpads, peut-être : ce sont des ThinkPads modifiés pour utiliser une carte mère d’un modèle plus récent que celui du corps extérieur, parfois avec un écran de meilleure qualité que l’original (les Flexview®, une gamme qui n’a hélas pas fait long feu, étaient des dalles IPS décentes), et avec un BIOS modifié pour accepter un CPU parfois à la limite de la compatibilité de la carte mère, ou des cartes WiFi officiellement non compatibles via la suppression de la liste blanche intégrée. Mais ce n’est pas donné à tout le monde d’en assembler un, et je ne connais pas d’assembleur professionnel. Je crois plutôt que les professionnels finiront par acheter du matériel Apple®, après tout, s’ils veulent utiliser Microsoft® Windows®, c’est possible, et de plus en plus de boîtes achètent des produits Apple®, ça a l’air d’être une mode. Il y a beaucoup de demande de la part d’incompétents qui sont ravis d’utiliser des logiciels propriétaires dont ils ne maîtrisent que les bases sans comprendre rien à l’informatique, il y a beaucoup de demande de la part d’ignorants qui refusent obstinément de lire tout ce qu’une machine leur dit, aussi clair que ce soit… Forcément, le marché s’adapte, les professionnels qui développent des logiciels sous GNU®/Linux® sur un ThinkPad® sont une infime minorité en comparaison aux Michu qui veulent remplir leur déclaration d’impôts sur le site Web de leurs maîtres en cochant des cases et en entrant des nombres dans un formulaire.
J’ai pour ma part décidé de ne plus acheter d’ordinateur portable récent tant que la situation ne s’améliore pas, et je sais que je vais devoir attendre très longtemps avant que ça ne se « débloque », peut-être même jusqu’à l’expiration des brevets, merci l’État, merci Lenovo, et merci la foule.