L’émotivité relative

2015-12-20

Cela peut paraître évident quand on l’écrit aussi simplement : les gens expriment — et ressentent sûrement — les émotions différemment, au même titre que les sensations. On distingue ici les émotions, plus cérébrales et issues de l’« esprit », des sensations, qui sont le résultat de tous les stimuli reçus par le corps à un moment donné. Pour moi, et certainement pour d’autres, c’est parfois assez déstabilisant d’ignorer, par maladie, ce fait simple.

Quand je vois un enfant exprimer de la joie de façon ostentatoire et par des signes physiques que je ne reproduis pas moi-même, j’ai l’impression de pas pouvoir ressentir autant de joie, ou pas de joie du tout, selon mon humeur. Pourtant, je suis capable de dire : « je suis content d’avoir fait cela », « je suis content de faire ceci ». Je reconnais des émotions, sans pouvoir les repérer par rapport à un référentiel. C’est une erreur inconsciente que je commets volontiers et qui me donne l’impression d’être plus apathique que je ne le suis.

Si je dois être rationnel, ou du moins plus détaché de mes craintes, je peux facilement énoncer beaucoup d’émotions personnelles associées à beaucoup d’évènements ou de pensées, mais il m’est assez difficile de reconnaître que ces émotions se manifestent de façon « saine », mais cela ne suffit quand même pas à me rassurer sur le bon fonctionnement de mon esprit.

Le problème est assez épineux puisque j’ai inconsciemment créé un mécanisme d’autocomparaison constante : j’enregistre, sélectivement puisque j’ai des biais cognitifs, des émotions chez les autres, et je tente d’établir une norme, un absolu auquel je dois tendre, or, je ne suis pas les autres, j’ai le droit à ma propre personnalité, et ce n’est qu’en en ayant conscience que je peux me défaire de cette tentative de normalisation. Il n’y a rien de malsain à ne pas danser de joie à la moindre bonne nouvelle, à pleurer comme une madeleine devant un film Pixar mais pas avant l’enterrement d’un être cher. C’est simplement une différence de sensibilité, de ressenti. Même si je considère que la différence vient de la chimie de mon cerveau, ça ne rend pas ça illégitime.

D’ailleurs, on ne me reproche pas, ou plus, je ne suis pas sûr, de ne pas manifester d’émotions, les gens qui me connaissent savent que je suis plutôt calme et que j’ai souvent l’air impassible. On a déjà tenté de me « faire craquer » par la violence, mais ça n’a même pas fonctionné, puisque c’est seulement l’adrénaline qui a facilité une colère légitime et qui l’a rendue clairement visible pour mon agresseur, au-delà de la dose énorme de drogue que mon cerveau venait de délivrer, je restai moi-même.

Je suis heureux de pouvoir écrire : je ressens ce que je veux, comme je veux, quand je veux (peut-être que « vouloir » n’est pas le bon mot, mais l’esprit de la formule convient). Je serai encore plus heureux quand je me serai libéré de tout ce qui m’en empêche, et j’y travaille.